Dans Le Monde du 24 décembre 2009, un article très intéressant de Jérôme Fenoglio au sujet de la reconstitution des forêts dans l’Est après 1999.

Cet article fait le pendant des trois traductions disponibles sur ce même blog : « Après Lothar », « Typologie des successions », et « De la typologie aux itinéraires ».

Cet article répond aussi aux pathétiques inquiétudes de Pépinitos-en-Chef (cf. « Sauvons les pépinières« ).

Morceaux choisis :

« […] La forêt s’en sort bien mieux que les hommes. Dix ans après la dévastation de près de 1 million de ses hectares (sur plus de 14 millions) par les grandes tempêtes qui ont traversé la France, du 26 au 28 décembre 1999, elle s’est débrouillée seule, ou presque, pour surmonter le choc. Avec une telle vitalité que les passages de Lothar et Martin ne s’apparenteraient plus qu’à un immense coup de jeune s’ils n’avaient autant marqué les humains en effaçant leurs paysages et leurs repères. C’est dans l’esprit des forestiers que les rafales de l’hiver 1999 auront imprimé les traces les plus profondes. Et c’est pour leur économie meurtrie que la cicatrisation s’annonce la plus longue.

Pour l’heure, il faut se fier au jugement du spécialiste pour se laisser rassurer par ces bois si uniformément juvéniles, par ces arbres dans l’enfance, à peine plus hauts qu’un promeneur. « C’est difficile à concevoir pour quelqu’un qui n’est pas du métier, dit Jérôme Bock, responsable du pôle recherche et développement lorrain à l’Office national des forêts (ONF). Mais ici, c’est gagné, alors que tout avait été rasé par la tempête : nous sommes bien dans une forêt, avec ses essences parfaitement en place. Il y a les pionnières, le bouleau, le tremble ou le merisier, qui préparent le terrain pour les intermédiaires, comme l’alisier, puis pour les terminales, comme le chêne, ou surtout le hêtre, qui finira par dominer toutes les autres. »

[…]

Parfois, ce sont les hommes qui, dans leur hâte de dégager les chablis, les arbres déracinés, ont causé des dommages bien plus durables que ceux de la tempête. L’intervention mal maîtrisée des véhicules dans les sous-bois a tassé des sols pour de longues années, compromettant leur aération, la circulation de l’eau et le développement des racines. Une étude au laser de la taille de la végétation en forêt de Haye a montré à quel point ces actions intempestives pouvaient être néfastes. Dans les secteurs où les moyens mécaniques ne sont pas sortis des ‘cloisonnements’, des bandes de terrain dégagé qui séparent les peuplements, les arbres prospèrent. Là où les engins sont intervenus sans contrainte, la croissance a pris plusieurs années de retard.

Ces enseignements sont venus étayer une nouvelle manière de pratiquer la sylviculture, qui était apparue avant les tempêtes, mais que celles-ci ont achevé de faire entrer dans les moeurs. Comme si la force des éléments avait rendu les forestiers plus humbles, plus à l’écoute et moins ‘maîtres et dominateurs’ de la nature. Comme si le coup de folie de ces vents turbulents avait achevé d’ébranler la rationalisation des plantations d’après-guerre.

« Jusque dans les années 1970, on aurait réagi à ce genre d’événements en replantant massivement quelques espèces, explique Jean-Luc Dupouey, spécialiste de l’écologie forestière à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Nancy. Après la tempête, on a opté pour la régénération naturelle à la fois parce que l’on manquait de moyens financiers et parce que la vision de la forêt a évolué dans la société : les replantations artificielles sont beaucoup moins bien acceptées. » Symboliquement, Lothar aura d’ailleurs décimé les dernières plantations de résineux en plaine de Lorraine, vestiges d’un après-guerre où l’on avait planifié la production massive de pâte à papier.

Cette ‘régénération naturelle’, Jérôme Bock la résume d’une formule : « Faire au mieux avec ce qui se trouve sur place. » Dans cette logique, le forestier laisse le temps au soleil de réveiller les semences qui se trouvent sur le terrain. Il n’a recours aux plantations qu’en cas de blocage manifeste du processus : en Lorraine, ces issues de secours n’ont été empruntées que sur 10 % des parcelles à régénérer. Il refuse l’interventionnisme et se contente d’accompagner l’élan naturel, en libérant de la place pour les essences les plus valorisées. Car les bois de l’après-tempête sont régis par un nouveau maître-mot : variété. Sur cet humus consensuel, formé par la décomposition de la politique de l’essence unique, doivent fructifier les compromis entre les trois usages de la forêt : écologique, économique et social.

 […] »

Pour lire l’article complet :

http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/ARCHIVES/archives.cgi?ID=dfbd8ae972ff1e17786f5554fbbf8d754636f86f93606f82

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