Question d’un étudiant :
M. Hazera,
Je suis étudiant à la Sorbonne à Paris en licence de design.
Dans le cadre d’un projet sur le pin maritime, je m’intéresse à cette essence, notamment aux caractéristiques de son aubier, comme la vulnérabilité aux champignons, insectes… À Paris, des fournisseurs de bois m’ont indiqué que l’aubier était le plus souvent éliminé pour la fabrication de planches par exemple, du fait de sa fragilité. Ils m’ont même dit que le transport d’aubier non traité était interdit pour Paris, et qu’il était traité directement sur le lieu de production.
Je voulais savoir si cela était vrai. Un producteur Landais de pin maritime m’a affirmé le contraire. Ce même producteur m’a expliqué que, dans son exploitation, son processus de fabrication absorbe l’aubier et le duramen, la séparation étant impossible.
Vous évoquez la monoculture intensive, qui entraîne des modifications structurelles du bois, et le fait que l’aubier ne peut être retiré. Pensez vous que les différences que je constate dans les propos que j’ai recueillis peuvent provenir de ces différences de pratiques ?
Je vous remercie pour les éclaircissements que vous pourrez m’apporter.
Bien cordialement.
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My answer :
Cher Monsieur,
Merci de votre message, qui tombe très bien.
Ce que l’on vous a dit à Paris serait presque idéal, mais ne correspond pas aux pratiques réelles (du moins pour ce qui concerne le pin maritime).
– L’idéal serait d’éliminer l’aubier du bois lors de sa mise en œuvre… pour tous les bois. L’aubier est fragile et peu durable pour toutes les essences, même les plus résistantes, acacia et teck inclus, la seule partie vraiment noble étant le bois parfait.
– Malheureusement, cette pratique tend à se perdre pour de nombreuses essences et, concernant le pin maritime, elle est aujourd’hui totalement abandonnée.
L’aubier de toutes les essences est sensible aux champignons et aux insectes. L’aubier, partie vivante de l’arbre, contient quantité de réserves nutritives potentiellement utilisables par ces dégradeurs divers. Le duramen, lui, est le résultat d’un processus interne de transformation chimique et de colmatage des vaisseaux qui aboutit à rendre ce bois peu attractif et peu accessible. Les bois à aubier non différencié (peuplier, sapin et épicéa par exemple) restent plus fragiles du fait que ce processus de duraminisation ne se produit pas, ou pas de façon complète me semble-t-il (point à vérifier).
L’économie moderne pousse à raccourcir les cycles de production, et la sylviculture n’y échappe pas. De ce fait, au lieu d’attendre que le pin maritime ait atteint sa maturité, on le coupe avant terme, et le bois parfait… est encore loin de l’être. Comme on accélère la croissance dès la plantation, il contient une forte proportion de bois juvénile (le bois produit au cours des 10 à 15 premières années de vie de l’arbre), de qualité inférieure. Et comme les utilisateurs ne proposent que des prix très peu attractifs pour les gros pins, le sylviculteur préfère couper ses bois en herbe, lorsqu’ils sont encore jeunes (autour de 40 à 45 ans) et de volume faible (autour de 1 mètre-cube). En outre, la sylviculture moderne coûte de plus en plus cher, ce qui pousse également les producteurs à raccourcir les cycles de production. Ils considèrent aussi que des arbres qu’on laisse vivre longtemps sont davantage sujets à subir divers dangers (tempêtes par exemple), même si ce risque est bien loin d’être confirmé par les faits. Dernier point : on ne se préoccupe plus du tout non plus de la période de coupe. L’abattage se pratique tout au long de l’année, en toutes saisons et en tous temps. Les sols en sont victimes (à cause des engins de plus en plus lourds qui y circulent, même dans les périodes où ces sols sont les plus fragiles), mais la qualité du bois en est victime aussi, notamment sa résistance aux champignons et aux insectes car, comme vous le savez certainement, du bois coupé en bonne saison et en bonne lune est bien plus durable que ce même bois coupé à d’autres moments de l’année… mais ce qui commande maintenant aux arbres, ce sont les machines : leur prix est tellement énorme qu’elles doivent impérativement tourner à plein rendement pour enrichir leurs constructeurs et les organismes de prêt fnancier.
Tout cela est à mon avis extrêmement discutable, voire même largement erroné. C’est faire fausse route que de choisir toutes ces options. Dans des arbres de faibles dimensions, par exemple, il n’est pas possible de purger l’aubier car, si on le purge, il ne reste plus alors que très peu de bois parfait utilisable, encore ce dernier contient-il en son centre une grosse partie de bois juvénile. C’est tout à fait possible de purger l’aubier sur des arbres de grosses dimensions, mais pas sur les jeunes blancs-becs qu’on utilise de nos jours. C’est un obstacle économique, pas technique.
Le pin maritime contient une forte proportion d’aubier : pour des pins de 40 ans, il peut être de l’ordre d’un tiers du rayon, voire plus. En volume, cela représente une proportion encore bien plus importante. Sur un arbre d’une quarantaine d’années, c’est donc l’aubier qui est prépondérant dans la masse de bois. Lors des sinistres comme ceux que nous avons subis récemment (les ouragans Martin et Klaus), cet aubier commence à bleuter progressivement à partir de la fin du printemps, lorsque l’alimentation en eau devient déficiente (à cause des racines endommagées) pour répondre aux besoins de l’évapotranspiration. La dégringolade du prix du bois, dès le lendemain de chaque tempête, a comme prétexte ce bleu, cette dégradation de l’aubier, qui n’est pourtant pas technologique mais seulement esthétique, et qui ne se produit que longtemps après (plusieurs mois après le sinistre).
Voilà pourquoi votre message tombe bien : je rève d’un designer qui mettrait au goût des consommateurs les belles veines du bois bleu ! On m’a dit que, en Savoie (c’est un Savoyard qui me l’a dit), le bois bleu du sapin se vendait à meilleur prix que le bois blanc, c’est-à-dire vert… j’espère que vous me comprenez ! Autrement dit, tout cela n’est qu’une question de mode, mais nous autres producteurs de pin maritime, ici, nous en payons très cher les conséquences, car l’effondrement est énorme : les prix sont, au bas-mot, divisés par cinq, souvent par dix !
Pardon pour la longueur, mais j’espère avoir répondu à votre question et, au cas où vous souhaiteriez vous attaquer au marketing du bois bleu, je suis à votre service… mais devenez célèbre : ça aidera !
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Tres intéressant !
je suis heureuse de voir qu’il existe encore des âmes qui résistent à ce monopole de la bêtise.
Merci Julie pour ce petit mot très sympa !
Je te souhaite d’excellentes fêtes… mais je vois que, même pendant tes vacances, tu ne lâches pas complètement le morceau de bois !
Question de mode aussi, on m’a dit que « les clients » ne voulaient plus du bois rouge, c’est à dire tiré de pins gemmés. Alors que tout démontre que le pin gemmé est incomparablement durable par rapport à du pin non gemmé. Vivement que le cours de la gemme remonte ! (Allez, Claude Coureau, encore un effort)
Merci pour ton blog très intéressant et instructif, Jacques.
Merci François-Xavier ! Je suis bien d’accord avec toi sur les excellentes qualités du bois de pin gemmé.
Bien cordialement !
Bonjour ,
Je découvre vos échanges à propos du Pin gemmé ,je souhaite construire une petite maison de vacance dans le Sud Ouest à proximité de la côte et de tous les contructeurs de maison ou de cabane rencontrés aucun ne propose de Pin maritime gemmè . Est-ce à dire que votre matériau est trop noble , trop rare et incompatible avec le developpement des consructions bois dans cette région ?
cordialement
Stéphane .
Bonsoir,
C’est tout à fait normal qu’aucun constructeur ne soit en mesure de vous proposer du pin gemmé, étant donné que le gemmage a totalement disparu de la contrée à la fin des années 80. Les quelques vieux pins gemmés encore sur pied aujourd’hui sont pour la plupart dans un état de santé relativement dégradé, c’est-à-dire qu’ils subissent l’attaque d’un champignon qui attaque le bois (Phellinus pini).
Actuellement, divers projets de relance du gemmage sont en train de voir le jour. Sachez d’ailleurs que ces projets rencontrent de multiples difficultés, que leurs succès sont aléatoires et que, en outre, certains s’y aventurent à la légère avec peu de sérieux. Dans l’hypothèse où ils parviendraient quand même à relancer le gemmage (ce que je souhaite vivement), il faudrait encore attendre au moins une ou deux décennies avant que du pin gemmé arrive sur le marché du bois.
Concernant votre projet de construction je vous invite, à défaut de pin gemmé, à exiger du pin maritime ayant poussé lentement. Ce détail est très important pour garantir la bonne qualité technique du bois, ainsi que pour sa résistance aux insectes et aux champignons. Votre fournisseur doit chercher des approvisionnements de qualité. Ils existent. D’ailleurs, permettez-moi de vous indiquer l’adresse d’une entreprise qui, même si je ne connais pas personnellement ses réalisations, m’a été chaudement recommandée, et qui est très attentive à la qualité du bois qu’elle utilise. Il s’agit de l’entreprise PALLAS à Pontenx-les-Forges (http://www.maison-bois-pallas.com/). Dans un autre style, vous pouvez aussi vous adresser à Philippe Bray, qui est fustier (http://www.lesmaisonsdarbres.com/). Dans les deux cas, n’hésitez pas à vous recommander de moi.
Cordialement,
Jacques Hazera